
CPPE
Cabinet de
Pédiatrie
pour Enfants
Pourquoi l'enfant joue-t-il ?
Il existe plusieurs raisons pour laquelle l'Homme joue. Celles-ci se définissent particulièrement durant son enfance :
Tout d'abord, le jeu permet le développement sensorimoteur (sensations et activités motrices) de l'enfant, lui permettant de découvrir son corps. Il commence à ressentir l'unité de son corps, la coordination motrice s'affine et permet à l'enfant d'exercer un certain pouvoir sur son environnement, de percevoir et d'investir l'espace dans toutes ses directions, d’aller à la conquête d’un territoire.
Le jeu est également favorable aux apprentissages et il est nécessaire à l'équilibre
psychique de l'enfant. On peut même lire dans certains livres de psychopathologie que la
névrose est la manifestation d’un déficit de jeu. Le jeu ouvre à la mise en place de processus
cognitifs. Nous allons voir comment «opère » l’activité ludique. Dans la mesure où le jeu joue
un rôle dans la formation du Moi et dans le développement de l'intelligence, sa fonction est
fondamentale dans les procédures d'apprentissage. C'est essentiellement depuis la scolarité
obligatoire que l'adulte a découvert que le jeu pouvait avoir un rôle pédagogique. Le jeu est
“ éducatif ”, mais quand il est utilisé à l’école comme méthode d’apprentissage, l’enfant n’est
pas dupe ! Il comprend bien que ce jeu-là, c’est du travail ! On a tendance à opposer jeu et
travail, or, l'essence même du travail est dans le jeu. Winnicott (psychiatre britannique) a
largement développé cette question. C'est du jeu que naît la capacité de créer, c'est par le jeu
que l'enfant se découvre et se constitue, c'est par le jeu que se trouvent expérimentés presque
tous les préalables des apprentissages cognitifs ultérieurs. Un enfant qui n'a pas assez joué ne
peut pas apprendre. Tous les fondements de la vie symbolique et sociale sont dans le jeu. Jean
Piaget (biologiste et psychologue suisse) nous a montré que le jeu est en interdépendance avec
les structures cognitives. Il est un moyen de s’affirmer, d’expérimenter et de maîtriser les
connaissances et les savoir-faire, d’intégrer la pensée à l’action. Le jeu donne à l'enfant accès à
son intelligence. Les capacités qu’ouvre le jeu sont indispensables à toute activité d’apprentissage
et de compréhension. Tout en jouant l’enfant accède au raisonnement. Il apprend aussi que le
ratage est une condition de la réussite. Le jeu apprend à réussir et à perdre, à supporter les échecs, à les faire fructifier…
L'enfant construit sa personnalité en jouant, il s’affirme au monde. Le jeu lui donne la possibilité de maîtriser un reflet de la réalité humaine. Le jeu contribue à façonner l'identité de l'enfant par la créativité. Jouer, c'est explorer le monde extérieur, c'est avoir l’occasion de décider. C’est le lieu des expériences uniques, espace d’innovation et de création. Le jeu permet la maîtrise et le dépassement de soi, l'expression de sa singularité, par la création de symboles originaux, et par la différenciation d'avec l'autre à travers les identifications et les projections. Comme le dit le philosophe et spécialiste des sciences du jeu Jacques Henriot, "Pour jouer, il faut être à distance de soi, prendre conscience de soi, à la fois dans ce qu'on est, et dans ce que l'on veut être". A travers le jeu, l'enfant peut aussi s'exprimer.
En effet, en lui-même, le jeu est un langage, il permet à l’enfant d’interpeller l’autre. Le jeu évoque autre chose que ce qu’il dit directement. Il est évocateur, symbolique, c’est-à-dire qu’il n’est pas directement compréhensible, il passe à travers un média : le symbole. C’est un langage personnel ; le même jeu aura des significations différentes selon les enfants, en fonction de leur histoire, de leur culture. Pour Mélanie Klein (psychanalyste britannique) : "le jeu est pour l'enfant le moyen d'expression par excellence." Selon Philippe Meirieu, spécialiste francais des
sciences de l'éducation et de la pédagogie, « beaucoup de travaux,
depuis longtemps, insistent sur des corrélations fortes : les enfants qui ont
des difficultés d’accéder au langage sont aussi des enfants qui jouent peu…
Même si l’on constate une différence entre les filles, pour lesquelles la
médiation du lange est très déterminante, et les garçons, qui utilisent surtout
l’imitation de l’action. Au total, il semble bien que le jeu et le langage
participent d’un même mouvement de mise à distance par rapport à
l’immédiateté et à l’engluement dans un présent sans forme ni perspective ».
Le jeu a également une fonction de socialisation.
Les jeux de “ tradition enfantine ” qui se perpétuent en
sont une preuve. Winnicott dit que l'enfant joue pour
établir des contacts sociaux : "le jeu fournit un cadre pour le début de relations
affectives et permet donc aux contacts sociaux de se développer". La plupart des
jeux enfantins ont une fonction sociale, y compris dans les formes individuelles,
le partenaire peut y être présent par l'imaginaire, l'imitation, la représentation...
Le jouer-avec met le sujet en relation avec autrui. L’enfant va chercher à rivaliser avec ses pairs, ou au contraire à s’allier avec eux. Dans Les Mots, de l'écrivain existentialiste Sartre, l'enfant cherche ainsi à prendre part au jeux des autres, à s'inscrire dans un groupe, mais il est rejeté par les autres enfants qui l'ignorent. Le jeu prépare l’enfant à prendre le risque de répondre à la demande de l'autre. Dans le jeu collectif, l’enfant apprend à se situer par rapport aux autres dans un cadre aux structures définies. L'enfant prend conscience de son statut personnel et peut percevoir le groupe par rapport à lui et d'autres groupes (la famille, la fratrie...). Les phénomènes identificatoires sont multiples, et le jeu permet d'être comme l'autre et non d'être l'autre. Le jeu permet un décalage par rapport aux identifications primaires, il permet un dédoublement du sujet, qui est à la fois jouant et joué. Le jeu constitue un moyen de communication dépassant le langage verbal, il permet les échanges entre des enfants d'origine linguistique et culturelle différente. C'est d'ailleurs en jouant que l'enfant intériorise les valeurs de la société à laquelle il appartient. La production de symboles lui permet de s'inscrire dans le lien social, dans sa culture. Le jeu de l'enfant est en prise directe avec le social : conditions de vie, d'habitat, l'environnement, l'organisation familiale influent directement sur les pratiques ludiques.
Le jeu permet à l'enfant de surmonter ses angoisses, de maîtriser et de triompher d'une réalité pénible. Par le jeu, l'enfant traduit sur un mode symbolique, ses fantasmes, ses désirs, ses expériences vécues. Pour tous les auteurs de culture psychanalytique, le jeu de l'enfant est à la fois l'expression de ses désirs et un mode de défense contre l'angoisse. Par l'accession au symbolique, l'enfant joue et rejoue les situations vécues, il intègre les modèles proposés et les émotions qui le traversent. Ces émotions ne sont plus collées au corps, grâce au jeu, elles se transforment. Le jeu garantit à l'enfant la possibilité de faire des compromis. Les scénarios qu'il expérimente dans le jeu lui permettent de trouver des issues ou des alternatives à des situations qu'il rencontre dans la vie, en tenant compte de la censure de la réalité. L'être humain joue tout au long de sa vie. Jouer, c'est tenter de sortir du constat d'immaturité, car n'est-il pas terrifiant, de se rendre compte que nous dépendons toujours d'un tiers ? Le jeu nous permet d'évacuer notre angoisse, dans la hantise que nous avons de ne pas pouvoir maîtriser notre propre dépendance. Selon Aldo Naouri (pédiatre français né en 1937), jouer, c'est lutter contre l'angoisse de mort, et ce, dès le plus jeune âge.
Enfin, le jeu permet à l'enfant de percevoir la notion de l'espace et du temps puisque son corps peut bouger dans un espace et un temps donné, de contrôler l'utilisation d'outils prolongeant l'action du corps et de concevoir des trajets et des gestes pour atteindre ses objectifs.


Mélanie Klein

Jean Piaget
Philippe Meirieu nous explique ici que le jeu est propice au développement de l'enfant.
